Antisémitisme dans le journal d'Hélène Berr
Les aspects antisémites du Journal d’Hélène Berr*
Par Didier Bertin – 8 mai 2021
*Remarque liminaire : Ce journal couvre la période du 7 avril 1942 au 14 février 1944 et contient les interrogations confidentielles d’une jeune femme « juive à contrecœur », auxquelles elle apporte des réponses qui sont parfois choquantes. Elle tient des propos hostiles à l’égard des juifs qui considèrent que le Judaïsme n’est pas qu’une simple religion normalisée et envers ceux favorables au sionisme. Hélène Berr est totalement désorientée parce que probablement son milieu familial et social n’a pas été en mesure de la préparer à une remise en cause de ses privilèges de classe durant l’occupation. Son seul désir est de rester à Paris où elle y a ses habitudes mondaines et où elle se joint à une organisation (UGIF) destinée à contrôler les juifs (à l’image des Judenräte) sous la houlette du SS-Hauptsturmführer Theodor Dannecker (proche d’Adolf Eichmann), de Pierre Laval et de Xavier Valat car c’est pour elle « le prix à payer pour rester à Paris ». Hélène Berr est morte en déportation malgré sa collaboration avec l’UGIF car le « laisser-passer » qu’elle y avait obtenu pour être protégée de la GESTAPO avait perdu toute valeur aux yeux des allemands. Trois mois avant son arrestation elle réalisa enfin qu’elle avait été « folle et aveugle » de n’avoir pas quitté Paris comme on le lui avait conseillé. Elle avait explicitement précisé que son journal n’était destiné qu’à la lecture d’une seule personne clairement désignée et n’aurait donc jamais dû être publié. Il est dommage que sa mémoire soit entachée par ses doutes et opinions portés à la connaissance de tous en 2008, c’est à dire 63 ans après sa mort.
Il existe une ressemblance d’intitulé et de couverture avec « le Journal d’Anne Frank » et nous espérons sincèrement que cela ne relève pas d’une politique de vente insinuant qu’il y aurait d’autres similitudes.
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Bref Rappel de ce que représente le Journal d’Anne Frank et de son immense différence avec celui d’Hélène Berr
Anne Frank naquit en Allemagne en 1929 et sa famille prit la décision en 1933 de fuir Francfort sur le Main pour Amsterdam après qu’Hitler fut nommé Chancelier. Anne Frank explique cette fuite par le fait que sa famille est «juive à 100% » et indique dans la première édition qu’elle se rendait les mercredis dans un mouvement sioniste car elle s’y intéressait. Fière d’être juive et intéressée par le Sionisme elle se place par ses valeurs dès l’âge de 13 ans en 1942 à l’opposé de celles d’Hélène Berr âgée de 23 ans et à la même époque. La vie d’Anne Frank sera, du 6 juillet 1942 (date à laquelle elle commence à vivre cachée) au 4 aout 1944 (date de son arrestation), une lutte pour la survie face à la menace nazie. Elle vivra cloîtrée dans un logement dissimulé (« l’Annexe ») derrière les bureaux de la Société de son père. « L’Annexe » est un logement de 75 m2 répartis sur 3 étages où la famille Frank recueille d’autres juifs : « la famille Van Pels et le Dr Pfefer ». Ils seront huit personnes dans cet espace réduit, contraints au silence et à l’immobilisme car on ne doit pas soupçonner leur présence. Anne Frank regrettera qu’il n’ait pas été possible d’accueillir plus de juifs car elle s’inquiète avec raison pour le sort de ceux qui n’ont pas pu fuir ou se cacher. Malgré deux années d’efforts à ne pas bouger et à se taire tous les occupants de « l’Annexe » seront arrêtés sur dénonciation et seul M. Frank (son père) survivra à la Shoah. Anne Frank avait 13 ans lors qu’elle commença à écrire son journal « avec grand style et humour » malgré le pesant contexte. La famille Frank aura obtenu de nombreux renseignements sur la vie des juifs à l’extérieur de « l’annexe », sur la mort dans les camps de concentration et sur l’évolution des fronts dans le monde en écoutant principalement la BBC et Radio Orange (la radio du gouvernement néerlandais en exil). Elle se réjouit du débarquement allié en Afrique du Nord, puis en Italie et de la chute de Mussolini. Au printemps 1944 Radio Orange fait part de son désir de recueillir après la guerre des témoignages de la vie sous l’occupation et Anne Frank remanie ses écrits pour qu’ils puissent être publiés et cela sera fait par son père dès 1947. Son témoignage est très précieux pour la Mémoire de tout le peuple juif. Le seul point commun avec Hélène Berr est leur mort à la même période à Bergen Belsen des suites du typhus. Anne Frank était alors une adolescente de 15 ans et Hélène Berr une jeune femme de 24 ans.
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Le Journal d’Hélène Berr : « nous étions fous et aveugles.. »
Ce qui est frappant dans ce journal est l’appartenance ouverte de l’auteure à la grande bourgeoisie française juive et « très assimilée ». Elle prépare une agrégation d’anglais et est une brillante écrivaine qui mêle toutefois dans une même phrase le français et l’anglais sans doute pour faire part de ses connaissances car nous ne sommes pas encore à la période du franglais. Sa vie est très mondaine et elle fréquente des amis qui appartiennent le plus souvent à la même classe sociale. Elle commence à écrire son journal à 22 ans ce qui est tardif mais désire laisser des souvenirs de sa vie quotidienne à l’homme dont elle est éprise et qui a choisi de rejoindre « la France Libre ». Elle est très attachée à des valeurs superficielles malgré la lourde atmosphère ambiante. Au-delà de ses cours à la Sorbonne et de ses leçons d’allemand suivies avec assiduité semble-t-il, elle aime écouter de la musique classique avec amis (elle joue du violon), ses déjeuners et ses « goûters » en bonne compagnie, ses promenades dans les beaux quartiers de Paris (rive gauche, jardin du Luxembourg…). Elle habite dans le prestigieux septième arrondissement de Paris et sa famille possède une grande maison de campagne avec des arbres fruitiers à Aubergenville (actuel département des Yvelines) où elle se rend très régulièrement. Elle bénéficie des services d’une cuisinière particulière qui n’étant pas juive pourra transmettre son journal à son destinataire si jamais la situation se dégradait. Elle est liée au départ à deux hommes proches d’elle un temps et qui s’éloigneront l’un en Algérie et l’autre « Jean» qui est celui qui rejoindra honorablement la France Libre du Général De Gaulle. Il est la seule personne de ce journal à s’être opposé aux allemands par ses actes. Hélène Berr choisira « Jean » mais ce lien est peut-être surtout fantasmé ne serait-ce qu’en raison de l’éloignement de leurs lieux de résidence pour elle et de combat pour lui. La priorité d’Hélène Berr est de rester à proximité de son appartement parisien et de sa maison de campagne. Son père est le Vice-Président de la Société Kuhlmann contrôlée sous l’occupation par la Société allemande IG. Farben et qui deviendra Ugine-Kuhlmann en 1966 puis sera absorbée par Péchiney en 1971.
En Avril 1942, la France est occupée par l’Allemagne, le régime de Vichy est en place depuis le 10 juillet 1940 et les lois antijuives ont été promulguées de 1940 à 1942. On prive 7000 juifs de la nationalité française sur le territoire métropolitain et 25 000 juifs en Algérie. En métropole les juifs sont divisés entre étrangers et français (300 000 juifs dont 150 000 étrangers). Des Juifs très assimilés pensent être protégés par leur nationalité française et en particulier ceux qui font partie de l’Elite et qui se sentent éloignés du sort de leurs malheureux coreligionnaires étrangers. Les juifs étrangers vivant en France avaient fui pour beaucoup l’antisémitisme et les pogroms des pays de l’Est et auraient dû bénéficier de la solidarité des juifs français comme de celle de tous les français.
Le 29 mai 1942 tous les juifs français comme étrangers sont soumis au port obligatoire de l’étoile jaune et même Hélène Berr doit porter ce qu’elle préfère appeler « avec distance l’insigne ». Le fait de ne pas porter l’étoile ou de mal la porter entraîne la déportation. Le bon port de l’étoile était une notion approximative qui permettait à la police aux questions juives (PQJ) de déporter n’importe qui. Au début les trains de déportation vers les camps de concentration étaient surtout remplis de juifs étrangers mais s’ils n’étaient pas complets (60 personnes par wagon à bestiaux) des juifs français étaient alors aussi déportés afin que les trains partent pleins.
L’acte de résistance d’Hélène Berr consiste à rester à Paris pour montrer que les juifs « ne renonceraient pas à se faire admirer » et « à s’habiller avec élégance » pour souligner l’incongruité du port de l’étoile. La réalité la rattrape lorsque son père bien français (d’origine alsacienne) se fait arrêter pour port incorrect de l’étoile. Il est envoyé à Drancy ou il découvre l’horreur, dont celle d’un homme qui se suicide près de lui. Mais M. Berr qui est un privilégié, est libéré en contrepartie du paiement d’une rançon par le président de la Société Kuhlmann.
Parmi les aspects qui viennent ternir la personnalité d’Hélène Berr on relève sa haine à la fois du Sionisme qui ferait selon elle « le jeu des allemands », et de la notion de peuple juif qui irait au-delà du seul aspect religieux. Le légalisme pétainiste réduit en effet le judaïsme à une simple religion normalisée, limitée aux rituels et qui met en cause le principe de solidarité communautaire. Cet aspect légaliste guide malheureusement certains membres de l’élite juive française très assimilée.
La collaboration de fait :
A la page 99 nous apprenons qu’Hélène Berr s’engage comme assistante sociale en principe bénévole dans l’organisation collaboratrice UGIF. Il ne s’agit pas de bénévolat désintéressé car les volontaires obtiennent « un certificat de légitimation » qui est « un laisser-passer » destiné à ne pas être inquiété en cas de contrôle par la GESTAPO. L’UGIF (Union Générale des Israélites de France) est une organisation créée par les Pétainistes sur demande des allemands et directement contrôlée par Pierre Laval et le commissaire aux questions juives Xavier Valat. L’UGIF est financé par la vente de biens volés aux juifs déportés et fait office de « Judenrat » que les allemands créent dans les pays qu’ils occupent. L’entente entre la France et l’Allemagne sur la politique antisémite et la bonne volonté de quelques membres de l’élite juive très assimilée font que les allemands n’ont besoin que d’une présence réduite pour contrôler l’application de leur politique antisémite et ce sera la tâche du SS-Obersturmführer Theodor Dannecker, chef du Service des Affaires juives de la GESTAPO en France, un proche d’Adolf Eichmann. Il connaît bien les points faibles des juifs assimilés et c’est pour cela qu’ « Adolf Eichmann » l’envoie à Paris. Vichy rend obligatoire l’affiliation des juifs à l’UGIF afin de s’assurer d’un parfait contrôle. Un Jury d’Honneur devait se prononcer après la guerre sur l’action de l’UGIF sous l’occupation, mais ce jury n’a pu aller jusqu’au bout de sa mission. Hélène Berr rapporte s’être fait traiter de « Collabo » par des juifs venus à l’UGIF pour tenter de savoir où se trouvaient des membres de leur famille arrêtés (page 241). Le travail d’assistante sociale consistait à s’occuper d’enfants juifs isolés en raison de la déportation de leurs parents et que l’on désignait par le terme de « bloqués » dans l’attente de leur déportation. Le fait que des juifs s’occupaient d’eux devait les mettre en confiance.
Lorsque Hélène Berr, sa sœur et une amie se rendirent la première fois à l’UGIF pour proposer leurs services, le secrétaire général de l’UGIF Armand Katz leur conseilla de partir (de Paris) (page 99) et elles répondirent avant même qu’Armand Katz eut terminé son explication : « Nous ne voulons pas partir ». Son amie dit à Hélène Berr que c’était quand même une concession faite aux allemands et Hélène Berr lui répondit : « c’est le prix à payer pour rester ici (à Paris) ». Le conseil d’Armand Katz était tout à fait judicieux pour elles. En effet beaucoup de Juifs des pays de l’Est et en particulier de Pologne et de Russie ne purent pas fuir en raison de leur extrême pauvreté et durent subir leur sort funeste alors que la famille Berr avait les moyens financiers de partir. La famille Berr paraissait malheureusement très attachée à ses biens, à son confort et à ses habitudes malgré des témoignages accablants dont ils avaient eu connaissance sur le sort réservé aux juifs déportés. « On pourrait peut-être penser » que l’idée qu’ils se faisaient d’eux-mêmes les empêchait de réaliser qu’ils puissent subir le même sort que les autres.
Comme nous l’avons déjà mentionné Hélène Berr écrit (page 99) « Je déteste les mouvements plus ou moins sionistes qui font le jeu des allemands.. ». Elle doit peut-être penser que les antisémites se satisferaient d’un Judaïsme réduit à quelques rituels religieux mais une telle conviction montre une ignorance du Nazisme et de l’Histoire du Judaïsme. Elle ne se réfère pas à l’Histoire du peuple juif dont font partie les persécutions, les pogroms et l’Affaire Dreyfus qui a été à l’origine du Sionisme. Heureusement que la SDN mieux informée qu’Hélène Berr avait reconnu le 24 juillet 1922 la nécessité de créer un foyer juif en Palestine destiné à recevoir et protéger les juifs (religieux, agnostiques, athées ou libres penseurs….).
Les sionistes ne font pas le jeu des allemands mais on ne peut pas en dire autant de l’action d’Hélène Berr au sein de l’UGIF.
Un des dirigeants d’un foyer de l’UGIF parlera favorablement du Sionisme devant Hélène Berr et elle réagira violemment en son for intérieur et écrivit (page 118) : « Non, je n’appartiens pas à la race juive….Ces gens-là ont l’esprit étroit et sectaire… ce qui est grave en ce moment ils justifient le Nazisme. Plus ils se resserreront en ghetto plus on les persécutera…le judaïsme est une religion et pas une race » … C’est hélas là un propos inacceptable car il suggère que le fait que des juifs n’acceptent plus de subir passivement l’antisémitisme (sionistes) a engendré l’antisémitisme nazi. Il est à noter qu’à cette époque le mot race était employé à l’instar des allemands à la place de peuple, nation, ethnie, groupe culturel, car les allemands cherchant à créer une notion artificielle de race aryenne appliquaient à de nombreux groupe le terme de race …Un groupe peut être uni sur la base d’une Histoire, d’une religion, d’une langue, d’une terre et autres. Hélène Berr reste dans l’erreur jusqu’au dernier jour de 1943 (page 269) lorsqu’elle écrit «...Juif ne traduit pas ma pensée car pour moi une pareille distinction n’existe pas….je n’arriverai pas à me considérer comme faisant partie d’un groupe séparé… ». Elle aurait dû selon cette logique renoncer à être française car les français forment un groupe séparé, et à sa situation sociale privilégiée qui la fait aussi appartenir à un groupe séparé …ce qui paraît la déranger le plus c’est l’idée d’appartenir au groupe juif au point qu’elle se tournera vers Jésus. ...balançant entre haine de soi et Judéophobie. Elle termine par une autre phrase épouvantable: «...L’idéal sioniste me paraît trop étroit, tout groupement exclusif, que ce soit le sionisme, l’effroyable exaltation du germanisme….ou le chauvinisme contiennent un orgueil démesuré », car elle mêle dans la même phrase les tortionnaires animés par une haine destructrice et leurs victimes cherchant une terre pour s’en abriter.
Hélène Berr déclare (page 190) faire siennes les idées du Christ en particulier après avoir lu l’Evangile selon Saint Matthieu qui contient le célèbre sermon sur la montagne. Elle voudrait que les autres appliquent à son égard les valeurs du Christ pour ne pas être discriminée mais elle ne les applique pas aux juifs qui ne partagent pas ses opinions. Hélène Berr connaît apparemment mal l’histoire du Christianisme et s’embrouille sur la portée des qualificatifs « catholiques et chrétiens ». Elles pensent que les chrétiens appliquent les enseignements du Christ par opposition aux catholiques qui ne seraient pas de vrais chrétiens. Son orgueil lié à ses privilèges et qu’elle exprimera jusque dans sa crainte en cas de déportation de ne pas être entourée de gens convenables (page 291) la place à la fois loin des valeurs du Christianisme et du Judaïsme. La peur de la bourgeoisie juive assimilée nait lorsqu’elle s’aperçoit qu’aux yeux des allemands les juifs forment un tout.
Hélène Berr perd trop lentement ses illusions quand l’ordonnance du 9 juillet 1942 interdit aux juifs d’aller voir des spectacles, de fréquenter les bibliothèques, les musées, les jardins publics, les stades, les piscines, les restaurants et ne peuvent aller dans les magasins qu’entre 15 et 16 heures. Cette ordonnance concerne tous les juifs français et étrangers et Hélène Berr est choquée en pensant qu’elle ne pourra plus se promener sur les Champs Elysées et pendant ce temps-là Anne Frank était cloitrée dans son annexe.
La rafle des 16 et 17 juillet 1942 par la police française de 4051 enfants, 5 802 femmes et 3 031 hommes étrangers et apatrides émeut quand même Hélène Berr. Les célibataires et les couples sans enfants sont envoyés à Drancy et les familles au Vel d’Hiv. Hélène Berr pense que la rafle du Vel d’Hiv est organisée par les allemands et se trompe car c’est une opération de la police française. Madame Berr (mère) reçoit un appel « prétendument » rassurant lui disant qu’aucun ancien combattant français n’a été déporté.
La soumission au légalisme pétainiste est encore exprimée à la page 198 où Hélène Berr exprime sa peur qu’un résistant puisse jeter une bombe dans un hôtel particulier occupé par des allemands en raison de leurs mesures de rétorsions. Pour elle ce résistant serait aveuglé par son obnubilation et la passion du moment. Quel contraste avec les juifs du Ghetto de Varsovie qui avaient mené quelques mois avant une insurrection dirigée par « Mordechaï Anielewicz » sioniste et non religieux âgé à 24 ans (âge similaire à celui d’Hélène Berr) et l'Organisation juive de combat. Mordechaï Anielewicz préféra se suicider dans l’honneur plutôt que de se rendre et est un héros de la nation juive.
Le 22 juin 1941 marque à la fois le début de l’offensive allemande contre l’URSS et celui de la Shoah (Shoah par balles d’abord). La France de Pétain aura été « le meilleur allié de l’Allemagne nazie » en garantissant le calme à l’Ouest et en facilitant ainsi la concentration de troupes allemandes à l’Est et donc l’extermination de six millions de juifs et le massacre d’environ vingt-cinq millions de soviétiques ; ceux qui ont aidé le régime de Pétain y ont une part de responsabilité.
En octobre 1943 Hélène Berr commence à se faire à l’idée de mourir (page 216). Le premier Novembre 1943 (page 225) elle fait état de l’utilisation de gaz asphyxiants par les allemands et prend conscience qu’une arrestation équivaudrait à sa mort dans un camp de haute Silésie. Elle parle aussi de scènes d’extermination de juifs en Pologne et de prisonniers russes rapportées par un témoin direct (pages 295 & 296).
En novembre 1943, Hélène Berr mentionne encore de ses journées en tant qu’assistante sociale à l’UGIF et se rend compte que son laisser-passer « carte de légitimation » ne la protège plus des allemands qui n’ont plus besoin du personnel de l’UGIF qu’ils ont commencé à rafler.
Le 13 décembre 1943 Hélène Berr craint une proche arrestation et enfin reconnaît une situation évidente: « …je me demande si ce n’est pas par ignorance, ignorance des souffrances à endurer, ignorance de mon pouvoir de résistance ….si je ne me dirai pas une fois …là-bas … que nous étions fous et aveugles de rester » ; les mots « fous et aveugles » résument bien sa situation et celle de sa famille.
C’est seulement en février 1944 que la famille Berr décide de quitter son appartement pour habiter chez diverses personnes afin d’éviter une arrestation. Hélène Berr se résigne à son arrestation et se prépare même psychologiquement à se faire déporter passivement. Elle prend des renseignements auprès d’une personne restée à Drancy mais qui a pu échapper à la déportation. On lui dit que Drancy est viable et que l’on n’y souffre pas de la faim. Dans les douches hommes et femmes sont mélangés et il faut renoncer à la pudeur. Quelques jours avant la déportation les prisonniers sont regroupés par chambrée de 60 personnes pour s’habituer à un voyage de 6 jours dans des wagons à bestiaux devant contenir 60 personnes chacun. La grande préoccupation d’Hélène Berr est la fréquence du vidage du seau hygiénique, l’odeur, les crampes musculaires et la promiscuité « si elle n’était pas avec des gens convenables » (page 291).
Tant que la famille Berr reste dispersée chez différentes personnes il ne se passe rien. Le 7 mars 1944, M. et Mme Berr et Hélène Berr commettent l’erreur de revenir dans leur grand appartement où ils sont arrêtés dès le lendemain matin.