La Mémoire de la Shoah mise en danger par le processus de Prague - Lettre à la Commission Européenne
Didier BERTIN
Association pour la Promotion du Modèle Européen des Droits de l’Homme
14000 Caen – France
COMMISSION EUROPEENNE
Cabinet de la Vice-présidente Viviane REDING
Justice –Droits Fondamentaux – Citoyenneté
Monsieur Martin SELMAYR, Chef de Cabinet
1049 Bruxelles
25 Mars 2011
Monsieur,
Je vous remercie pour votre dernière lettre du 14 Mars dernier et j’ai bien noté que l’Union Européenne finançait des programmes destinés à entretenir la mémoire des crimes commis « par les régimes totalitaires, y compris le Nazisme. »
Il nous semble que nous devons comprendre à cette occasion, que le Nazisme est désormais considéré comme un régime totalitaire parmi d’autres et qu’il a, semble-t-il, perdu la spécificité qu’on lui accordait généralement comme symbole du plus haut degré de l’horreur produite par l’humanité.
Nous ne pouvons nous empêcher de penser que cette nouvelle approche qui prend chaque jour de l’ampleur, est une conséquence malheureuse de la déclaration de Prague du 3 Juin 2008 dont le but était de faire état des souffrances subies par les peuples sous les régimes communistes.
La déclaration de Prague a été à notre avis au delà de son objectif premier en révisant l’ampleur des crimes du Nazisme par leur reclassification hâtive au même niveau que ceux des régimes communistes. Cette révision historique était à notre avis hors du champ de compétence et de la mission des signataires de cette déclaration.
Cette reclassification a des conséquences regrettables en ouvrant la porte au révisionnisme historique et encourageant six états-membres de notre Union à reconsidérer leurs législations pénales.
Ces pays sont la Lituanie qui semble prendre la tête des initiatives dans ce domaine, la Lettonie, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie et la République Tchèque.
La Lituanie et la Hongrie ont même déjà mis en place des mesures légales incluant des peines d’emprisonnement de deux ans et trois respectivement pour tous ceux qui n’accepteraient pas cette nouvelle conception historique imposée d’autorité.
Cette mise en équivalence aurait dû imposer préalablement des considérations morales et légales car elle balaie d’un revers de manche les conclusions de plus d’un demi-siècle procédures judicaires contre les criminels de guerre Nazis en commençant par celles du procès de Nuremberg.
Nous avons le plus grand respect et la plus grande compassion pour les victimes des régimes communistes, mais la requalification des crimes Nazis nous paraît être en revanche un manque de respect pour celles du Nazisme.
Les crimes du nazisme perdent ainsi de leur gravité en étant regroupés « en gros » avec ceux d’autres régimes totalitaires de nature complètement différente. L’unicité du Nazisme et de sa création la « Shoah » était pourtant une référence nécessaire à la civilisation pour désigner le point culminant de la barbarie, comme cela avait été accepté par tous depuis le procès de Nuremberg.
L’unicité du Nazisme intrinsèquement doté d’une mission exterminatrice et de son produit la « Shoah » est pourtant facilement compréhensible puisque 63% des Juifs Européens ont été massacrés principalement entre 1942, après la Conférence de Wannsee et 1945, et dans certains cas comme en Lituanie dès 1941.
A notre avis la remise en cause du caractère unique du Nazisme et en conséquence de son œuvre la « Shoah » est un acte conscient ou inconscient à portée antisémite. Elle est aussi comme nous le verrons un déni de la Shoah pour ce qu’elle est.
Nous devons noter aussi que le nazisme ainsi galvaudé renaît plus facilement de ses cendres dans des pays comme la Lituanie ; ceci y est particulièrement choquant puisque le pourcentage d’extermination des juifs de Lituanie a été le plus élevé d’Europe (environ 96%) et que beaucoup de Lituaniens ont participé à la réalisation l’extermination des juifs.
Le Nazisme n’a pas été qu’une idéologie autoritaire mais a créé et mis en application le concept d’extermination de masse systématique. La représentation de cranes humains sur les uniformes SS est significative à cet égard et pourtant aujourd’hui les Nazis sont dûment autorisés à parader dans les rues de Vilnius en arborant ce même symbole SS.
L’unicité du nazisme et de la Shoah acceptée par tous, avait permis de développer la tolérance, et de limiter le développement de l’antisémitisme et du racisme. La réduction de l’antisémitisme n’avait pas grand mérite étant donné que la population juive est devenue négligeable en Europe depuis 1939 (environ 12% du peuple juif aujourd’hui contre 60% en 1939).
La remise en cause de cette unicité est à notre avis en opposition avec les valeurs humanitaires de l’Europe que nous tentons de promouvoir.
Nous pensons que l’Europe a un devoir particulier en ce qui concerne le respect de la mémoire de la Shoah. En effet, en refusant d’écouter ses propres lauréats des Prix Nobel de la Paix de 1926, Aristide Briand et Gustav Stresemann et en se laissant aller à d’interminables atermoiements, l’Europe a favorisé le développement du Nazisme.
Nous devons aussi nous souvenir qu’en Europe de l’Est où l’essentiel de la population juive vivait avant la Guerre, l’extermination des juifs avait parfois commencé avant même l’arrivée des troupes allemandes et avait brièvement continué après leur défaite du fait de massacres perpétrés localement.
Un autre fait « essentiel » montre que le Nazisme est un régime totalitaire tout à fait différent des régimes communistes, est que l’Europe doit sa liberté au sacrifice de 21 millions de citoyens de l’URSS (civils et militaires) tués par les Nazis et dont nous devons aussi respecter la mémoire.
Il est inacceptable que la Lituanie autorise les Nazis à défiler aujourd’hui et pour chaque anniversaire de l’indépendance, sur les plus grandes avenues de Vilnius, en arborant des symboles SS et la Croix Gammée qui a été légalisée dans ce pays en tant que symbole national depuis 2010.
La Lituanie a promulgué des lois qui interdisent sous peine de prison de se montrer favorable au communisme et au Nazisme et d’en montrer les symboles, mais ne semble appliquer cette interdiction que pour le communisme.
Le Musée d’Etat du Génocide de Vilnius ne concerne que le Stalinisme et rejette la Shoah et cela en opposition avec les valeurs morales promues par l’Union Européenne.
Ce pays n’a pas accepté de juger les criminels de Guerre Nazis d’origine Lithuanienne qui ont dû revenir des Etats Unis après la chute du régime communiste ; ils avaient été expulsés des Etats Unis pour avoir dissimulé leur passé.
La situation en Hongrie est pleine d’enseignements quand au sens idéologique et peu historique des attitudes qu’a inspirées la regrettable déclaration de Prague.
Le précédent gouvernement progressiste Hongrois avait adopté le 23 février 2010 une loi condamnant le déni de la Shoah de façon digne comme une démocratie évoluée de l’Union Européenne.
Une droite autoritaire élue peu après et antidémocratique compte tenu de ses mesures totalitaires contre la liberté d’expression, a tenu à mettre en pièces cette loi.mis en pièce la loi.
Une nouvelle loi l’a remplacée d’où le nom de la Shoah a été extirpé. Cette loi parle à présent de génocides perpétrés par les communistes et le Nazis.
74% des 596 000 juifs Hongrois ont été exterminés sur une très courte période, principalement de 1944 à 1945 et des Hongrois ont participé en nombre à ces massacres.
La Hongrie n’a rien connu de tel qui mérite le nom de génocide et ainsi ce nom est utilisé pour des raisons idéologiques loin des réalités historiques.
En assimilant ce qui est à ce qui n’est pas on porte atteinte à la mémoire des victimes de la Shoah et l’on dénie la réalité de la Shoah pour ce qu’elle est en en la rendant équivalente à ce qu’elle n’est pas.
Ces mesures autoritaires et pénales contreviennent à notre avis aux articles de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne et dont l’application est devenue obligatoire en raison des dispositions du traité de Lisbonne.
Nous pensons donc que la Commission Européenne a les outils nécessaires pour demander l’abolition de lois condamnant ceux qui ne partagent pas les opinions d’ordre idéologiques et non historiques imposées autoritairement par des Etats à l’instar de régimes totalitaires dont ils se plaignent d’en avoir été victimes.
Ces lois remettent en cause le principe de la liberté d’expression dans le cadre et les limites des valeurs morales de l’Union Européenne.
Si l’Union Européenne renonçait à imposer ses valeurs démocratiques et morales, elle pourrait ne redevenir qu’une union économique parmi d’autres.
Nous nous efforcerons d’obtenir des déclarations sur la gravité des crimes des régimes communistes qui excluent des références autant inadaptées qu’inutiles au Nazisme et qui ont pour effet de galvauder cette idéologie dangereuse pour la Démocratie et la Paix.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.
Didier BERTIN